
Cet article a été rédigé par Frédéric Jeorge (enseignant), Omayma Maamri & Elsa Simon (ingénieures pédagogiques)
Dans le cadre du cours Approches critiques du numérique en didactique des langues du Master 2 Didactique du FLE/FLS et éducation interculturelle, les apprentis enseignants ont réalisé un dispositif de formation en ligne destiné aux étudiants allophones, pour exercer leurs compétences de futurs professeurs de langue en scénarisant et en didactisant ressources et activités, et en parallèle ils ont pu développer leur esprit critique vis-à-vis de l’utilisation du numérique en enseignement : réflexions autour des IA génératives, du RGPD, de la sécurité informatique, de l’empreinte environnementale, etc. – pour les différentes facettes de leur activité mais aussi à titre de citoyens individuels. Ce projet s’inscrit dans une interaction entre les étudiants, divers services de l’université et le monde culturel local, sous la coordination de l’enseignant.
Pour une approche responsable et critique du numérique ?
Selon F. Jeorge, savoir utiliser une application moderne ne requiert généralement que peu de compétences techniques : tout est fait pour un accès facile, intuitif, efficace. Mais c’est là que réside l’un des paradoxes : puisque tout est si accessible, les utilisateurs pensent souvent que cela implique que la technologie est mature, que les réponses sont fiables, que les données sont objectives. La tentation est grande de confier à l’IA de plus en plus de tâches, d’exploiter de plus en plus directement ses résultats, et de reporter sur elle une part toujours plus importante du travail d’enseignement, notamment en préparation de cours et rédaction de documents.
Un usage raisonné et professionnel de ces outils nécessite une approche critique, surtout en formation d’enseignants. Il est donc important de ne pas se limiter à lister simplement les outils numériques mais former à une réflexion sur leurs usages et les intégrer dans des situations concrètes de création de supports pédagogiques.
L’enseignant a donc souhaité partager une approche possible de cette question à travers le cas d’un cours expérimental, avec une approche pédagogique responsabilisante mettant les étudiants directement en prise avec leur formation et un cas concret.
Vue d’ensemble du cours
Ce cours a présenté un panorama thématique des différents outils numériques et leurs usages, en terminant par des conseils pratiques et mise en garde sur les biais et les limites de ces technologies. L’approche visait à favoriser un recul critique en impliquant les étudiants dans des échanges, réflexions, et la création concrète d’un outil pédagogique destiné à des étudiants allophones, tout en les mettant en position d’acteurs et contributeurs au cours pour relier théorie et pratique selon les niveaux avancés de la taxonomie de Bloom (1956).
Le projet réalisé par les étudiants a pour but de faire découvrir le patrimoine du campus historique et les éléments utiles à la vie estudiantine, tout en travaillant le français.
Les étudiants ont sollicité plusieurs intervenants pour obtenir des informations ou de l’aide technique, entre autres : l’association Avignon Cité Millénaire, la mission APUI, et les services universitaires comme la bibliothèque universitaire, la médecine étudiante, ou encore la direction culturelle.
Le projet

Présentation de l’espace du cours
Le projet créé sur la plateforme pédagogique de l’établissement s’articule autour d’une découverte interactive et ludique qui utilise des outils multimédias variés et une scénarisation pédagogique engageante. L’objectif ? Initier les étudiants internationaux à leur nouvel environnement tout en renforçant leurs compétences linguistiques.
S’appuyant sur une approche ludique, ce module se présente sous la forme d’un jeu interactif où un personnage, l’apothicaire, guide les apprenants à travers une visite immersive construite autour de photos en 360° (via l’utilisation d’une caméra 360 et d’H5P). Ces derniers progressent en réalisant des activités variées, telles que des quiz, des glossaires, et des exercices interactifs qu’ils débloquent au fil de leur exploration.

Exemple d’exercice pour travailler la compréhension orale
Pour enrichir l’expérience, des ressources diverses incluant des vidéos, des images et des supports écrits sont intégrées, rendant le contenu attrayant sans perdre de vue l’objectif de faire travailler les compréhensions écrite et orale.
Premiers résultats de l’expérience pédagogique
Ce cours et ce projet était une première édition. Alors quels sont les premiers résultats ?
Lors de la dernière séance, les étudiants ont répondu à un court questionnaire (anonyme, 10 questions fermées et ouvertes, 14 répondants sur 14 étudiants) visant à récolter leurs retours sur le cours. Le travail de groupe et l’autonomie sur le projet, malgré un encadrement de l’enseignant, a été vécu à parts égales comme une opportunité ou au contraire comme une contrainte. L’enseignant prévoit pour la prochaine édition, au-delà de proposer des points d’étapes, de demander des rendus réguliers pour garantir l’avancement du projet.
« L’IA générative est utile mais à prendre avec des pincettes. Comme tout matériel numérique finalement »
Témoignage d’étudiant du M2 FLE
Concernant l’approche critique du numérique, véritable enjeu de cet enseignement, visant à sensibiliser les étudiants à un usage raisonné et professionnel, la majorité de la classe (71,5 %) envisage dans sa future pratique de sensibiliser les apprenants aux usages responsables du numérique. Avant le cours, parmi les étudiants 2/14 estimaient faire preuve d’esprit critique face aux IA génératives, ils étaient 8/14 à l’issue de la formation. L’IA en général est maintenant perçue comme un outil utile dont il faut comprendre les avantages et les inconvénients, et qui nécessite une certaine prudence et modération dans son utilisation (« L’IA générative est utile mais à prendre avec des pincettes. Comme tout matériel numérique finalement », « Il y a du bon et du mauvais, à moi de savoir faire la différence et à ne pas m’y fier aveuglément ») ; pour un cumul de 93 % des étudiants, il y a donc après ce cours une plus grande prise de recul face aux outils d’IA.
L’objectif principal était d’amener les étudiants à se poser les bonnes questions plutôt que juste savoir utiliser des outils : efficacité réelle par rapport à une production humaine, éthique, points forts et faibles, impact sur l’évaluation… Il était d’autant plus important qu’ils puissent s’approprier ces contenus, et non juste les apprendre ou les comprendre, qu’ils devront être en mesure – sur la question de l’IA et des traductions automatiques notamment – de sensibiliser à leur tour leurs futurs élèves sur les possibilités étonnantes mais aussi et surtout sur les sérieuses limites et biais culturels des ces outils, même s’ils évoluent beaucoup. Outre les interactions intéressantes mises en place cette année entre les étudiants et des services de l’université, l’idée pour la suite est que les prochaines promotions ne partent pas de zéro mais capitalisent sur le travail de cette classe pilote et puissent compléter et améliorer ce dispositif, créant par là une interaction originale et rare entre les différentes promotions d’une même formation.